Frédéric CHANTRAINE , Médecin de Médecine Physique et de Réadaptation
Florent MOISSENET , Docteur-Ingénieur en biomécanique
Contexte
La spasticité est l’un des symptômes du syndrome pyramidal, caractérisé par une exagération du réflexe d’étirement secondaire à une hyperexcitabilité des réflexes spinaux [1-3]. Elle apparaît suite à un accident vasculaire cérébral, à un traumatisme crânien, à une lésion médullaire ou encore à une affection inflammatoire du système
nerveux central. On distingue trois types de spasticité : la spasticité intrinsèque phasique lorsqu’il s’agit d’une exagération prédominante de la composante phasique du réflexe d’étirement, la spasticité intrinsèque tonique lorsqu’il s’agit d’une exagération prédominante de la composante tonique du réflexe d’étirement et la spasticité extrinsèque lorsqu’il s’agit d’une exagération des réflexes extrinsèques spinaux en flexion ou en extension [3].
D’un point de vue clinique, il est primordial de distinguer la contribution au moment articulaire de cette composante réflexe et des propriétés viscoélastiques des structures passives, notamment dans le cadre d’une spasticité intrinsèque tonique. Cependant, les échelles d’évaluation actuelle, couramment utilisées en clinique (e.g. Ashworth, Tardieu) [3], sont des outils qualitatifs, praticien-dépendants et ne donnant aucune information quant à cette distinction entre spasticité et structures passives. De plus, la complexité des interactions entre les systèmes impliqués dans cette spasticité (e.g. système musculo-squelettique, système nerveux) [4] rend difficile la compréhension du problème dans son ensemble.
Plusieurs outils sont néanmoins disponibles pour surmonter ces obstacles. Tout d’abord, Lehmann et al. [5] ont montré que la mesure du moment résultant autour de l’axe de flexion-extension de la cheville permet, lors de mouvements de rotation sinusoïdaux répétés, de quantifier la spasticité des muscles de la loge postérieure du segment jambier. D’autre part, l’évolution des outils de simulation, et notamment des modèles musculo-squelettiques, permet aujourd’hui des investigations toujours plus précises au niveau des interactions oeuvrant lors d’un mouvement tel que la marche [6].
Définition du projet
Ce projet a ainsi pour but le développement d’un outil de quantification de la spasticité autour de l’axe de flexion-extension de la cheville.
Contrairement à une approche traditionnelle visant à évaluer spécifiquement chacun des muscles croisant l’articulation étudiée, l’objectif ici est de caractériser la part de la spasticité de l’ensemble des muscles atteints sur le moment résultant autour de l’axe de flexion-extension de la cheville lors de mouvements de rotation sinusoïdaux répétés.
Pour cela, le projet a été segmenté en cinq phases. Une première phase, en cours de finalisation, avait pour but la conception et la fabrication d’une pédale motorisée, et de son bâti, permettant la mise en mouvement de l’articulation de la cheville ainsi que des mesures de couple et de position.
Les deuxième et troisième parties consisteront respectivement à l’expérimentation sur sujets sains et patients cérébrolésés. Elles permettront la mise en place d’un protocole définitif avant une utilisation clinique régulière de l’outil, prévue en phase quatre. Enfin, une cinquième phase consistera à utiliser les mesures réalisées pour renseigner un modèle musculo-squelettique au niveau des moments passifs de la cheville, spécifiques au sujet, et pour modéliser, sur un plus long terme, la spasticité de la cheville.
Matériels et méthodes
Le protocole suivant correspond aux besoins exprimés par les phases 2 et 3 de l’étude.
Une demande d’acceptation a été récemment envoyée auprès du Comité National d’Ethique de Recherche du Luxembourg et est en cours de validation.
Participants
20 sujets sains ainsi que 20 patients cérébrolésés, ne présentant aucune antériorité orthopédique ou traumatologique au niveau de leurs deux chevilles, seront inclus dans l’étude. Les patients cérébrolésés devront posséder une spasticité reconnue au niveau de la loge postérieure et/ou latérale d’un de leurs segments jambiers.
Instrumentation
La pédale motorisée, développée lors de la phase 1 de l’étude, sera employée pour mettre en mouvement l’articulation de la cheville ainsi que pour réaliser des mesures de couple et de position. Cette pédale, ainsi que son bâti, ont été spécialement conçus pour s’adapter à la morphologie des patients et pour permettre des mesures indifféremment au niveau de la cheville droite ou gauche.
Un système d’électromyographie portatif sans fil viendra compléter cet outil afin de suivre l’activité des muscles tibialis posterior, peroneus longus, soleus, gastrocnemius medialis et gastrocnemius lateralis au cours du mouvement.
Procédure
Pour tous les sujets, les deux chevilles du sujet seront étudiées systématiquement en position debout. Plusieurs configurations seront testées à chaque fois, le système permettant de régler l’amplitude de débattement angulaire et l’angulation initiale de la cheville, mais également de définir le flexion du genou, de manière à modifier l’action des gastrocnemius.
Concernant les patients cérébrolésés, des enregistrements pré- et post-bloc des loges postérieure et latérale seront réalisés de manière à dissocier la contribution des structures passives et de la spasticité au couple mesuré.
Traitement et analyse des données
Les données de couples, de position ainsi que les enregistrements EMG seront traités sous le logiciel Matlab® dans un premier temps, puis un logiciel sera développé pour répondre aux besoins d’une pratique clinique régulière.
Bénéfices attendus
La procédure devrait permettre à terme de quantifier de manière répétable la spasticité autour de l’axe de flexion-extension de la cheville. De plus, les données recueillies correspondant à la contribution des structures passives pourront venir enrichir et personnaliser les modèles musculo-squelettiques existants.
A long terme, l’ensemble des données recueillies (i.e. au niveau de la spasticité et des structures passives) devrait permettre la mise en place d’une modélisation de la spasticité de la cheville.
Références
[1] Lance, L.W., Pathophysiologie of spasticity and clinical experience with Baclofen, In: Spasticity disordered motor control, Year Book, Chicago, 1980, 185-203.
[2] Gracies, J.M., Pathophysiology of spastic paresis. I: Paresis and soft tissue changes, Muscle Nerve, 2005, 31, 535-551.
[3] Decq, P. and Mertens, P., La neurochirurgie de la spasticité, Journal de la Société de Neurochirurgie de Langue Française et de la Société Française de Neurochirurgie, 2003, 49, cahier 2.
[4] Purves, D., Augustine, G.J., Fitzpatrick, D., Katz, L.C., LaMantia, A-S., McNamara, J.O. and Williams, S.M., Neuroscience, Part III: Movement and its central control, Sinauer Associates, Sunderland, 2001.
[5] Lehmann, J.F., Price, R., DeLateur, B.J., Hinderer, S. and Traynor, C., Spasticity: Quantitative measurements as a basis for assessing effectiveness of therapeutic intervention, Archives of Physical Medicine and Rehabilition, 1989, 70, 6-15.
[6] Moissenet, F., Chèze, L. and Dumas, R., One-step optimization for simultaneous musculo-tendon and joint reaction forces prediction in the lower limb during gait, Journal of Biomechanics, under review.