Claudie CHAUVIERE , Kinésithérapeute – Cadre de santé
En collaboration avec le Docteur Loïc LECHAPELAIN et l’équipe de Centre de Médecine Physique et de Réadaptation de Lay-Saint-Christophe (IRMPR de Nancy)
Dans les suites de lésions neurologiques centrales, le contrôle de la qualité des appuis des membres inférieurs au sol n’est le plus souvent plus réalisé correctement. Les patients, par perturbation des systèmes internes proprioceptifs ou moteurs, ont une information erronée de la position debout et des appuis plantaires lors de la marche. L’acquisition de ces contrôles passe par l’apprentissage d’un comportement nouveau qui est une étape importante du programme de rééducation.
Les techniques de Biofeedback sont proposées comme des méthodes de rééducation « utilisant dans un but d’apprentissage par conditionnement une rétro-information externe apportée transitoirement par une chaîne de mesures capable d’objectiver les performances » (J.M. André). Le matériel choisi doit donc révéler aux patients ces évènements pathologiques afin de lui permettre de corriger progressivement les erreurs effectuées.
Il existe des instruments de baropodomètrie dynamique permettant pour le thérapeute une analyse des anomalies de pression (hypo ou hyperpression), de la répartition des aires d’appui et des conséquences fonctionnelles sur le déroulement du pas. Sans nier leur intérêt, ceux-ci ne constituent toutefois que des outils diagnostiques. En outre, le seul outil thérapeutique utilisant la rétro-information à savoir le Bioback (dont la conception et la validation ont été réalisées par le Centre de Lay Saint-Christophe) n’est plus commercialisé depuis 5 ans.
Justification du projet
Il nous a donc semblé important, en tenant compte des évolutions technologiques, de réfléchir à la mise au point d’un nouveau système qui serait à la fois instrument d’analyse et outil thérapeutique.
L’absence d’outil nous a conduit fin 2006 à développer un partenariat avec la Société DOERLER MESURE spécialisée dans les domaines de la mesure physique et des moyens technologiques qui s’y rapportent, aussi bien en matériel qu’en génie logiciel.
Nous avons donc entamé une réflexion sur les modifications à apporter, ainsi que sur les évolutions possibles des différents composants de la chaîne de mesure.
La précédente chaîne instrumentale comportait certaines insuffisances :
- un capteur unique ne permettant de définir qu’une seule zone d’intérêt;
- une jonction connectique entre boîtier et capteur peu fiable;
- une programmation limitée à l’établissement d’une valeur seuil répondant à un signal tout ou rien;
- un étalonnage par potentiomètre insuffisamment précis;
- une rétro-information visuelle ou sonore très limitée;
- un manque de finesse dans l’analyse des erreurs ne permettant pas au patient d’évaluer avec précision ses performances.
Pour concevoir et développer la nouvelle chaîne de mesures, nous avons utilisé le Tekscan (DOERLER MESURE) . La semelle est composée de capteurs haute résolution (4 capteurs/cm² soit 700 capteurs répartis) ; elle est adaptable aux différentes pointures, ultra-mince et flexible ; elle est reliée par une connexion filaire à un module enregistreur solidarisé à la jambe. Des tests ont été effectués avec plusieurs patients du Centre de Lay Saint-Christophe atteints d’affections neurologiques.
Notre projet actuel comprend donc :
- l’élaboration d’un prototype de chaîne instrumentale;
- la réalisation de tests cliniques permettant la validation de l’outil.
Le prototype de chaîne de mesures
A. Les capteurs de pression
Il conviendra de préciser :
- leur emplacement, ce qui suppose la détermination préalable de zones d’intérêt : talon, métatarses ou zones couplées…);
- la possibilité de les inclure dans une semelle permettant une évaluation quelle que soit la pointure du patient (réfléchir sur les types de matériaux : cuir, silicone, velcro…).
B. La connectique et le boîtier
Ils devront répondre à des exigences de légèreté, faible encombrement et en même temps de solidité et de fiabilité. Idéalement, nous souhaiterions une évolution vers une connexion sans fil (Bluetooth).
C. Le logiciel de traitement de l’information
Il devra être facilement paramétrable par le thérapeute (choix d’un ou plusieurs sites d’intérêt, choix d’une logique positive ou négative pour la rétro-information, détermination des seuils…). L’accès à la lecture, en temps réel, des courbes sur écran est souhaitable. Les informations recueillies et analysées devront être restituées sous une forme lisible et conviviale permettant pour le patient des modifications de comportement et, partant, l’amélioration des performances.
Lors de l’évolution et le développement du logiciel, il sera intéressant que le programme informatique permette le stockage des mesures dans un fichier patient spécifique de façon à pouvoir comparer les performances.
Le protocole d’évaluation proposé
Il comprendra :
- Une évaluation analytique préalable : bilan orthopédique (pied et genou), évaluation de la spasticité selon l’échelle d’Ashworth modifiée, un bilan de la sensibilité (extéroceptive et proprioceptive), une évaluation de la motricité analytique (tibialis anterior, tibialis posterior, extensor halluxis longus, triceps surae, fibulaires, extenseur commun des orteils, fléchisseur commun des orteils);
- Une évaluation fonctionnelle filmée et couplée avec l’utilisation du Tekscan permettant, de façon objective, de visualiser les zones d’appui préférentielles.
Lors de la réalisation du test, la consigne suivante est donnée au patient « vous allez stabiliser votre position debout puis marcher à vitesse confortable, selon votre propre rythme sur ce parcours et faire demi-tour ».
a. L’équilibre postural debout (EPD) est d’abord évalué pieds nus puis la marche est également réalisée pieds nus le long d’une barre sur un parcours étalonné de 10 m (test des 10 m de marche de Rossier et Wade).
b. Le même protocole est effectué avec chaussures et semelles avec les capteurs intégrés.
Cette situation de monitorage donnera au thérapeute, à T/0, des indications sur les particularités des appuis en statique et en dynamique. Elle servira de base de travail pour le début du conditionnement. Les modifications de l’appui seront analysées et comparées à cette référence à différents temps (T1, T2, T3…) l’évaluation finale déterminant la poursuite ou non du conditionnement.
Le programme d’entraînement
Il sera composé :
- d’une phase de conditionnement opérant avec retro-information externe : le thérapeute choisira le type de rétro-information pertinent par rapport à la situation clinique (diode, buzzer, vibreur…);
- d’une phase de conditionnement sans rétro-information externe mais avec poursuite de l’enregistrement des performances;
- d’une phase de contrôle à distance afin de vérifier le caractère pérenne des performances.
Les critères de jugement
Ils comprendront :
a. Les analyses objectives aux temps T0, T1 T2… avec le Tekscan concernant :
- la répartition topographique des aires d’appui;
- l’analyse quantitative des pressions (hypo ou hyper pressions en valeur absolue);
- l’analyse des conséquences fonctionnelles en terme de déroulement du pas.
b. L’analyse du graphe où est transcrit le relevé des performances en situation d’entraînement. Ces résultats seront comparés à ceux obtenus lors d’une précédente étude à l’origine de l’établissement d’une courbe théorique [1].
Les indications pour l’utilisation de cette chaîne instrumentale ne se limitent pas au secteur de Neurologie centrale, mais peuvent trouver d’autres applications comme en traumatologie lorsqu’un appui partiel doit, par exemple, être contrôlé.
Il sera aussi intéressant de réfléchir sur d’autres zones d’observation comme la main et ses qualités de préhension.
Références bibliographiques
1. Brugerolle B., Chauvière C., André J.M.
Retroaction biologique musculaire. Applications du biofeedback dans les troubles moteurs.
In : Encycl. Med. Chir. – Kinésithérapie et rééducation fonctionnelle 26-147-A-10, 1994, 5p